FAI BABA - Article dans Le Courrier 13-12-14

Dimanche, 14 Décembre, 2014 - 14:54

FAI BABA - Article dans Le Courrier 13-12-14

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Fai Baba, rêveur sauvage

SAMEDI 13 DéCEMBRE 2014
Roderic Mounir/ Photo: Magali Dougados 
 
 

ROCK Sur The Savage Dreamer, quatrième album turbulent et pop, le Zurichois donne de la voix, ­excentrique et glapissant. Un sans-faute nourri de ­mythologie sixties et seventies, l’étrangeté en plus.

Malgré deux passages à Paléo, un à Antigel et des concerts dans plusieurs clubs romands, Fai Baba jouit pour l’heure d’une popularité discrète de ce côté-ci de la Sarine. Ce n’est qu’une question de temps, car à 29 ans, avec quatre albums à son actif et une personnalité saillante, Fabian Sigmund (à la ville) a un boulevard devant lui. Son dernier disque, The Savage Dreamer, paru chez l’indépendant bâlois A Tree In A Field ­Records, est l’une des découvertes ­récentes les plus enthousiasmantes qui soit sortie du terreau helvétique. Pas de chanson proprette ni d’electro passe-partout: ici s’ébattent blues primal, free-folk excentrique, rock’n’roll psychédélique et pop ­maladive, propulsés par des guitares de western, des orgues vintage et ­cette voix d’elfe vibrionnant noyée dans l’écho, passant du glapissement de chiot agité au rugissement vaudou ou au falsetto de crooner flippé, en pleine descente d’acide ou tout simplement «perché».

Bref, les sixties et seventies sont mâchonnés et recrachés avec une fougue jubilatoire sur ce disque ­enregistré dans un ancien silo à grain à Brunnen, au bord du Lac des Quatre-Cantons. Les rêves sauvages de Fai Baba électrisent une scène suisse souvent trop timorée. Il était de passage en quatuor – il joue parfois en solo – samedi dernier à l’Ecurie, à Genève, invité par le collectif Rock This Town. L’occasion d’en savoir plus. Silhouette interminable plantée dans ses boots, moustache fine et col boutonné, on le dirait sorti d’un film de Jarmusch ou Kaurismaki. Il ne se fait pas prier pour prendre la pose et son assurance pourrait passer pour de l’arrogance. A tort. Il s’ouvre bien au-delà de la demi-heure promise, tandis que ses musiciens se restaurent sans lui. Il donnera ensuite un concert très rock, tout en nuances.

«Attends, tu vas enregistrer pour la radio, ou c’est pour un article?» Perfectionniste, le gaillard. A la vision de notre mini dictaphone numérique, il a craint pour la qualité sonore. On le rassure. Il se relâche sur son banc, s’affale contre le mur comme un ado trop grand. «J’ai fait la fête en club jusqu’à 9 heures du matin», confie-t-il, l’accent presque new-­yorkais, ponctué des you know de ­rigueur. Poseur? Deux de ses albums ont été enregistrés lors de séjours ­prolongés dans la Grosse Pomme. Pour l’heure, il est à Genève. «J’aime venir jouer côté romand, les gens y sont moins coincés. La première fois que j’ai fait Paléo, c’était pour mon premier album, ce qui était surprenant, compte tenu du fait que c’est le Saint-Graal des festivals.»

Le blues en Inde
Fai Baba – Fai comme diminutif de Fabian, Baba en référence à la vieille sorcière de la mythologie slave – a roulé sa bosse sur la scène ­alternative alémanique, décrochant la première partie de Cat Power l’an dernier au Volkshaus. «Il y avait plus de 1000 personnes, c’était dingue.» Enfance sans histoire dans la commune zurichoise d’Oberglatt, un père fou des Stones et des Beatles («il ­passait des disques sans arrêt») et une mère qui grattait parfois une guitare en chantant. «En classe, j’ai toujours voulu être celui qui criait le plus fort. Après, j’ai découvert les Doors en ­fumant des joints, break on through, tu vois le truc...» Champ de conscience en expansion, fantasmes rock. «Mes amis qui ont grandi à Zurich ont eu d’emblée accès au Niederdorf (quartier festif, ndlr). Chez moi, on faisait du skateboard, on nageait à poil dans le lac. L’étape logique pour s’éclater a été de monter un groupe et de répéter. J’étais branché post-rock, Sonic Youth, etc...»

En 2005 et 2007, Fabian sillonne l’Inde durant plusieurs mois. Initiation au blues à la clé, par des travellers étasuniens. «J’ai appris à chanter et perfectionné mon anglais. Un type du Montana m’a appris des techniques comme le fingerpicking, et à écouter ma voix intérieure, ces trucs hippies (il rit).» De retour en Suisse, Fabian s’active, enregistre, stocke du matériel de musique. «Je n’ai pas tant de trucs que ça, mes cinq pédales d’effets me suffisent, je les ai choisies après en avoir essayé des quantités. J’ai vite compris que le son que j’aimais était celui des sixties et seventies, chaud, organique, enregistré avec de vieilles guitares sur bandes magnétiques, pas des ordinateurs.»

Ode à la Grosse Pomme
Trouver sa voix a été le plus dur. «La version acoustique de la chanson ‘Creep’ de Radiohead m’a filé la chair de poule quand j’avais 16 ou 17 ans (imite le passage où Thom Yorke ­s’époumone sur «She run, run, run, run» et s’esclaffe, ndlr). Je hurlais ça tard le soir à la maison, devant ma ­famille consternée qui me suppliait de la boucler! J’ai appris des quantités de chansons à cette époque, mais j’ai tout oublié.» Lennon période Phil Spector pour l’écho sur la voix, et plus récemment le barde néo-folk Devendra Banhart pour l’étrangeté du timbre, ont déteint sur son style vocal.

Aujourd’hui, son groupe s’est ­solidifié autour du quatuor qui ­comprend notamment le guitariste et claviériste Björn Magnusson, propriétaire du studio-silo où The Savage Dreamer a été conçu. «On y a passé une semaine durant l’été 2013, pour commencer. J’avais des ébauches et on leur a donné forme, mais sans se prendre la tête. On s’est contenté de trois prises maximum par chanson. Je tenais à ce que le résultat soit cru.» En 2012, une bourse de la Ville de ­Zurich lui a permis de résider à New York. Et d’y rencontrer presque par hasard Tony Maimone, bassiste de Pere Ubu ayant aussi accompagné Bob Mould ou Frank Black. On entend sa basse sur le précédent disque de Fai Baba, She’s My Guru, en partie réalisé au Studio G de Tony Maimone à Brooklyn. Pas mal pour un débutant. «Cela c’est fait très simplement, Tony était cool et désireux de m’aider.» Du coup, Fai Baba a dédié une chanson à «New York City» sur The Savage Dreamer.

«Je me considère comme un rêveur sauvage, lâche le musicien, interrogé sur le sens à donner à ce titre. Je suis un artiste, je fais ça pour moi, pour ma vie. J’aime enregistrer mes chansons, les écouter et les partager. Que des gens viennent me voir jouer en buvant des verres est génial, mais je ne m’emballe pas pour autant. Un type comme Ty Segall (songwriter ­californien prolifique de 27 ans, ndlr) a joué sur au moins vingt disques en cinq ans!»
Fai Baba travaille en ce moment avec des musiciens de jazz, avec ­clarinette, saxophone, etc. Il cherche en vain sur l’app de son smartphone ses dernières maquettes. «Désolé, je suis crevé.» Le marathon de la veille a laissé des traces. Habituellement, ­Fabian se tient de l’autre côté de la barrière, portier de nuit intermittent à l’Exil, dancing et salle de concerts du Kreis 5. «Je repère les gens bourrés qui vont causer des problèmes», rigole l’intéressé. Plus tard dans la soirée, il fera son show avec des manières désinhibées et un ­engagement qui font chaud au cœur. Rétro, mais pas trop.

 

 

Fai Baba, The Savage Dreamer, A Tree In A Field / Irascible. http://atreeinafieldrecords.com

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